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Débuts de Textes - Textes sans but

19 septembre 2007

A Monsieur M.

Si après 10 ans, nous nous souvenons encore de quelqu’un que, finalement, nous avions peu croisé, c’est qu’il était déjà remarquable. Si, au bout de 20 ans, nous en conservons un souvenir ému, c’est qu’il a alors tenu, dans notre vie, un rôle essentiel.

Nous gardons de nos professeurs de collège et de lycée des images souvent cruelles, des tics verbaux, des postures ridicules, des colères mémorables. Il est plus rare de se souvenir d’une salle de classe où le silence témoignait d’une attention rare en ces âges tumultueux où le savoir peut être perçu comme un handicap.

Je revois fréquemment en pensées mon professeur de français. Je ne sais rien de lui. Mon Bac en poche, je ne l’ai plus jamais croisé. Je lui dois pourtant tellement et il est si injuste de ne pas le réaliser au moment même où nous pourrions encore remercier.

Il m’a promené en quelques années de Montaigne à Verlaine, de Du Bellay à Rousseau. Je plongeais avec lui dans de brillants sonnets et rêvais, grâce à lui, sur d’épiques narrations. Je me souviens lui avoir demandé si les auteurs, lorsqu’ils écrivaient, pensaient à toutes ces explications, ces sens cachés qu’il nous présentait alors. Il m’avait répondu : « … et à bien plus encore… ». 

Je pense à son œil, toujours rieur. Je pense à sa voix, posée bas, nous livrant lentement les secrets de l’ouvrage qu’il tenait d’une main, l’autre battant l’espace comme la mesure ou restant là, en haut, immobile un moment, désireuse de ne point briser le charme d’un quatrain ou la tension d’un récit.

Je pense à lui et ne sais pourtant ce qu’il est devenu.

Mais aujourd’hui, à chaque livre que j’ouvre, à chaque page que je tourne, c’est une part de lui qui m’accompagne. Une part à qui aujourd’hui je peux enfin dire merci.

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18 septembre 2007

La maison

Le chemin qui y grimpe est rebelle aux voitures, il est né pour la marche silencieuse et voutée. Des pierres anguleuses roulent, traitresses sous nos chaussures, et l’écho de leur course survit quelques secondes encore.

A quelques pas, posés là tels des soldats du mausolée de Qing, des genévriers d’un petit mètre suivent la courbure du chemin rocailleux.

C’est au dernier virage que l’on découvre lentement le toit de lauze qui se dévoile pudiquement. La végétation en cette saison est presque inexistante et les milles couleurs sur les roches qui ourlent la bâtisse lui font comme un écrin.

La maison simple est puissante. Grise et trapue elle semble vouloir opposer aux éléments qui ici, dans cette combe, se déchaînent souvent, une force tranquille que rien ne peut faire vaciller.

Nulle électricité, nulle eau courante, nul téléphone.

La lampe à pétrole, l’eau tirée du puits creusé dehors, les deux descentes hebdomadaires au village sont autant d’admirables palliatifs.

Ici, c’est le silence qui est maître.

Un silence fait des bruissements du torrent qui court plus bas, aujourd’hui espiègle et demain à peine dompté par les berges abruptes. Un silence fait de cris soudains, piaillements affolés ou glapissements sourds. Un silence riche de toutes sortes de bruits mais oublieux des sons agresseurs de la ville.

Quand le vent se lève annonçant la neige qui ne tardera plus maintenant, aucune envie de tirer les volets. Dehors, le soir, le ciel est un terrain de jeu infini pour les bourrasques déjà glaciales. Elles tombent sur nous depuis les plus haut pics, se faufilent au plus secret des vallées et viennent nous surprendre de leurs coups successifs qui nous font sursauter.

Lecteurs assis à la lumière orangée de la cheminée nous sommes comblés par le sentiment de notre sécurité. Comme le veilleur en son phare au plus noir de la tempête, nous nous sentons invulnérables. La maison, en ces moments, est plus que jamais notre abri, un ilot de chaleur qui repousse amicalement mais avec fermeté les vents et les déluges.

Cette maison est nôtre depuis quelques années.

Elle est notre refuge et il n’est même plus besoin d’un petit souffle de vent.

13 septembre 2007

La vieille bibliothèque

Comment l’imaginer sans son odeur de bois ? Sans les craquements sourds de ses rayonnages ? Sans un peu de cette poussière sous les plus lourds volumes que l’on peine à déranger ? Sans même cette légère odeur de moisissure que tous les antiseptiques n’arrivent heureusement pas à chasser ?

Celle que j’aime est à côté d’une petite école de village. Une école comme il en existe encore, une cour devenue mixte, deux tilleuls qui portent sur leur écorce les serments de centaines d’amoureux, un bâtiment tout en longueur d’un gris passé comme seuls savent l’être les constructions d’un autre temps. Sur le fronton des inscriptions gravées séparaient les garçons et les filles et s’effacent aujourd’hui lentement.

A côté de cette petite école silencieuse le samedi, une maison carrée, tapie près d’une haie, fait office depuis trois quart de siècle de bibliothèque communale. Les trois marches polies et creusées mènent à une porte vitrée cent fois remplacée que l’on ouvre avec une lourde poignée noire dont le grincement offusqué fait relever les têtes.

Vous n’entrerez jamais discrètement dans cette bibliothèque. Dans ma bibliothèque devrais-je dire, tant on s’approprie les lieux et les choses que l’on aime.

Moins d’une douzaine de rayons s’offrent aux visiteurs, mais ils montent haut vers le plafond. Ca et là d’ailleurs quelques escabeaux attendent. Leur bois vermoulu dissuadent le lecteur présomptueux tenté un instant par un auteur oublié, tout au sommet, qu’une main vengeresse a rangé là, à peine éclairé d’une lueur de limbes.

Le parquet gémit presqu’avec plaisir. Vos pas se font plus lents, précautionneux, accompagnant votre regard qui se perd sur les rangées d’étiquettes d’une encre sépia depuis longtemps passée.

Les volumes sont pour la plupart d’une autre époque, in octavo, in quarto aux couvertures souples ou cartonnées. J’aime y laisser glisser mes doigts comme une caresse complice, un remerciement muet.

C’est ici que depuis mes plus jeunes années je viens me ressourcer. Je trouve en ces lieux l’indispensable refuge d’une vie agitée. En feuilletant Camus, en parcourant Steinbeck, je trouve en ces livres les lignes qui apaiseront mes peurs et mes doutes.

Je quitte ma bibliothèque, un recueil sous le bras, et ce livre emprunté, ce trésor éphémère, me murmure déjà que dans l’immense chaîne de ses lecteurs heureux, je viens, ce matin là, me blottir tout près d’eux. 

13 septembre 2007

Ces dimanches là

C'est d'abord une saison, pas encore l'hiver mais déjà plus l'automne. C'est ensuite une lumière, celle déclinante d'un après-midi quand le mauve du soir chasse le bleu grisé. C'est enfin une odeur, celle de la terre, pleine, presque sucrée ; celle parfois écœurante des sous-bois et celle de l'herbe humide, peut-être la plus simple et sans doute la plus enivrante.

Ces dimanches là, alors que ma vie était pour quelques temps encore vierge de toute contrainte, mes pas me portaient au cœur de bois mille fois explorés et pourtant toujours aussi nouveaux pour nos jeux d'enfants. D'autres fois, c'était une bâtisse abandonnée qui nous accueillait mon jeune frère et moi. Nous traversions alors des vignes privées de leur âme, des prairies gorgées où la moindre empreinte bovine souillait nos chaussures d'une boue gluante et odorante.

Ces dimanches là, un enfant ne marche pas simplement. Chacune de ses enjambées est une porte ouverte sur un autre monde. Il devient G.I. et la moindre souche se transforme en bunker imprenable. Il est corsaire ou pirate et la mare innocente se change en océan déchainé.

Nos survêtements bleus que nous portions alors reflétaient les traces de nos folles aventures. Nous savions déjà que, de retour à la maison, nous devrions nous décrotter avec la lame usée d'un vieux couteau. Peu nous importait, nous étions emportés. A quelques hectomètres de notre calme demeure, nous n'étions même plus de ce siècle.

Nos jeux, faits de bousculades, de courses et de roulades, de cachettes et de cris, de découvertes et de bêtises, nous laissaient haletants, échevelés, baignés d'une fine et tiède sueur que nos sous-pull bordeaux ou marine de l'époque persistaient à ne jamais vouloir évacuer.

C'est à l'heure où le soleil se confondait dans sa pâleur avec le ciel, au moment où une brise ignorée jusqu'alors nous faisait frissonner, que nous savions qu'il nous fallait rentrer.

Nous avions joué quelques heures ce dimanche là, sans savoir que la course du temps est bien différente selon les âges de la vie.

Sans savoir que bientôt, bien trop tôt, comme le dira le chanteur ces dimanches à 15 heures seront déjà des lundis.

13 septembre 2007

Les yeux des hommes du Sud

Les visages sont tendus, blêmes. Les yeux, fixes, ne voient plus rien depuis longtemps. Les lèvres jointes, envie et angoisse mêlées, laissent à peine filtrer - comme à regret - quelques paroles d'un hymne que la respiration commune d'un stade conquis porte pourtant jusque là. Les corps massifs, comme faits de bois, certains nerveux et vifs, d'autres semblables à des rocs indestructibles, sont raides et figés. La tension est là, présente, pesante, comme un 16ème homme indésirable qui se serait pourtant invité sur le champ de la bataille à livrer.

Tout à l'heure l'adversaire, qui ne sera jamais l'ennemi, hurlait son amour du Pays, sa foi en des valeurs que ses pères défendaient et portaient avant lui. Soudés, agrippés en une étreinte presque sensuelle, les hommes du Sud, fiers, pleuraient alors.

Les nôtres sont restés droits, statues vivantes, comme insensibilisés ou comme, peut-être, trop sensibles, ayant épuisé leurs capacités à réagir par des larmes libératrices ou une ardeur décuplée.

Le regard des hommes du Sud n'est pas dur, il n'est pas agressif. Il est haut et serein. Dans la nuit, ces hommes tomberont peut-être mais ce sera alors avec bravoure. Ils le savent. Nous le savons. Leurs mains étreignent leur maillot comme si elles voulaient s'arracher le coeur et l'offrir à ces Dieux qui vont décider de leur destin.

Les regards se cherchent et se fuient à la fois. Les mains se serrent, automatiques. Un sourire crispé, un geste fugace traduisent parfois en un court instant l'amitié, le respect.

L'heure est au combat, aux chocs et au style, au terrain à gagner, à celui à défendre, aux souffrances, aux espoirs, à la peur, à la rage. La terre promise depuis longtemps, ligne blanche qui se dérobe ou qui s'offre, est l'ultime but d'une si courte vie de 80 minutes.

Tout à l'heure les hommes du Sud ont dompté l'adversaire.

Leurs yeux, tournés vers la lumière, voyaient combien seule la victoire est belle.

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